Le paysage financier d’Afrique de l’Ouest s’apprête à connaître une véritable révolution : avec l’introduction des paiements instantanés, le bloc des huit membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ouvre la voie à une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Le 30 septembre 2025, l’union monétaire – composée du Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo – lancera la Plateforme de Système de Paiement Instantané Interopérable (PI-SPI). Une infrastructure qui permettra des transferts en temps réel entre banques, opérateurs de mobile money et entreprises de microfinance.
Conçu pour moderniser les paiements, renforcer la souveraineté monétaire et étendre l’inclusion financière dans toute la région de l’UEMOA, le PI-SPI s’inscrit dans une stratégie numérique globale qui comprend le lancement de l’e-CFA – une MNBC de détail en cours de développement par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les huit pays partagent déjà une monnaie commune, le franc CFA – supervisé par la BCEAO. Ce sera donc la base du cadre monétaire unique pour les réformes des paiements numériques et l’e-CFA.
Si aucune date n’a encore été fixée pour introduire l’e-CFA dans le système monétaire, la BCEAO a déclaré que la monnaie numérique sera juridiquement garantie et équivalente au franc CFA. Selon la Banque mondiale, le contexte macroéconomique est favorable à cette numérisation : la croissance économique de l’UEMOA devrait atteindre 6 % d’ici 2027, portée par la Côte d’Ivoire, le Niger et le Sénégal, selon les données de la Banque mondiale.

Souveraineté et stratégie
Les objectifs de la BCEAO sont clairs : renforcer la souveraineté monétaire de l’UEMOA à l’ère numérique avec l’e-CFA, stimuler l’innovation dans les services financiers, réduire l’usage des espèces dans le secteur informel et lutter contre le blanchiment d’argent. Un enjeu majeur, quand on sait que l’économie informelle représente entre 30 % et 50 % du PIB, et entre 60 % et plus de 90 % de l’emploi total, en Afrique de l’Ouest, selon un rapport de 2024 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.
Pour préparer ce tournant, un groupe de travail multidisciplinaire a été mis en place. Son rôle ? Evaluer les coûts et les bénéfices d’une MNBC de détail – notamment avec des tests de preuve de concept pour mesurer la faisabilité technologique, explorer les cas d’usage et monitorer les risques.
« La prochaine étape consiste à poursuivre l’étude par une phase de preuve de concept en vue de comprendre les défis technologiques, de tester la faisabilité des cas d’usage identifiés pour l’union, de mesurer les avantages et les coûts associés, et d’évaluer l’efficacité des mesures de contrôle des risques envisagées », précise la BCEAO dans son rapport annuel 2024.
Infrastructure de paiement
La BCEAO prépare discrètement la transformation numérique de l’UEMOA. Selon un rapport de la Banque mondiale, l’institution a passé plusieurs années à poser les fondations d’un système financier numérique. Les huit pays membres ont adopté une Stratégie nationale d’inclusion financière et la BCEAO a renforcé le cadre réglementaire pour l’émission de monnaie électronique, tout en modernisant sa loi bancaire pour encadrer les nouveaux prestataires de services de paiement.
Résultat ? L’UEMOA compte désormais 40 initiatives de monnaie électronique, dont 13 licences accordées à des entreprises privées et 27 partenariats banque-télécom, selon la Banque Mondiale. Une avancée majeure qui prépare le terrain à l’e-CFA et aux paiements instantanés dans toute la région.
Toutefois, avant de pouvoir introduire l’e-CFA, la BCEAO doit encore consolider son infrastructure numérique – notamment le nouveau système PI-SPI, qui permettra des paiements sécurisés en temps réel 24h/24 et 7j/7, quel que soit le type de compte. Des tests ont débuté en juin 2025 avec un groupe restreint de clients dans ce sens et devraient pouvoir évaluer vitesse, résilience et sécurité avant le lancement de ce mois-ci.
« Conçue dans le respect des normes internationales pour les systèmes de paiement, la plateforme PI-SPI offre un niveau élevé de sécurité, de résilience et de performance opérationnelle », indique la BCEAO dans son rapport annuel.
« Son déploiement progressif marquera une avancée majeure dans la modernisation des infrastructures de paiement, tout en favorisant l’inclusion financière et en accélérant la numérisation des transactions dans l’union », précise l’institution.
Risques et préoccupations
Une MNBC présente de nombreux avantages, c’est indéniable. Mais la BCEAO a rapidement identifié plusieurs défis à relever, suite aux travaux d’un groupe de travail chargé d’étudier l’émission de l’e-CFA dans le bloc monétaire. La préoccupation principale ? La désintermédiation financière.
« Tout agent économique pourra détenir de la monnaie numérique de banque centrale directement émise par la banque centrale, sans passer par les canaux bancaires traditionnels », indique la BCEAO dans le rapport annuel.
« Cette innovation pourrait potentiellement déstabiliser les modèles basés sur la collecte de dépôts, la gestion des flux et les marges sur les transferts. »
Autre limite du e-CFA ? Son périmètre. La MNBC serait dans un premier temps restreinte aux transactions régionales et ne s’étendra pas aux transferts internationaux.
Stimuler l’adoption et l’inclusion financière grâce aux paiements instantanés
L’adoption de l’e-CFA dépendra de plusieurs facteurs clés : acceptation universelle, simplicité d’utilisation et adhésion de tout l’écosystème financier – en priorité, par les banques, institutions de microfinance, commerçants et fournisseurs de mobile money. L’inclusion financière dans l’UEMOA a déjà fait un bond spectaculaire de 47 % en 2016 à 72,3 % en 2023, selon la BCEAO. Autre chiffre révélateur : 26 millions d’adultes non bancarisés dans la région de l’UEMOA possèdent un téléphone mobile, note la Banque mondiale – un élément clé pour l’essor du mobile money.

Mais le défi reste immense, surtout en zone rurale. Connectivité inégale, connexions électriques peu fiables et taux d’analphabétisme élevés : des obstacles à surmonter pour universaliser la monnaie numérique. Un rapport de mai 2025 d’ODI Global, think tank britannique, souligne un point crucial : la fonctionnalité hors ligne sera essentielle au succès d’une MNBC.
« La fonctionnalité hors ligne peut atténuer les défis liés à la connectivité Internet et à l’accès à l’électricité, ciblant directement les personnes exclues financièrement », indique ODI Global.
« En permettant des transactions en temps réel, à faible coût et traçables, les MNBC peuvent réduire considérablement les risques et les coûts de règlement, tout en augmentant la transparence dans l’ensemble de l’écosystème financier », conclut le rapport.
Conclusion
Une nouvelle ère s’ouvre pour l’UEMOA, avec le lancement du système PI-SPI : paiements numériques instantanés, inclusion financière et tremplin vers une potentielle monnaie numérique. Cependant, l’expérience d’autres banques centrales en Afrique montre que la réussite n’est pas garantie.
Le Nigeria a été le premier pays d’Afrique à lancer une MNBC de détail, l’eNaira, en 2021. Le projet a malheureusement eu du mal à gagner du terrain, avec une adoption extrêmement faible et des volumes de transactions minimaux, tandis que la plupart des portefeuilles électroniques sont inactifs.
A l’inverse, le Ghana est en plein essor. En se concentrant sur la fonctionnalité hors ligne, le pays a pu étendre son projet pilote eCedi dans les communautés isolées et donc promouvoir l’inclusion financière. Malgré un retard de deux ans, une MNBC devrait être lancée officiellement d’ici la fin de 2025.
La leçon est claire : un déploiement progressif doit être soutenu par une infrastructure solide et une conception inclusive. Mais si la BCEAO réussit son pari, PI-SPI et l’initiative e-CFA pourraient bien devenir une référence pour le continent – transformant potentiellement la façon dont des millions de personnes gèrent leur argent. Pour plus d’informations sur les initiatives de finance numérique qui façonnent l’avenir de l’Afrique, visitez Open Finance Africa.